En juin 2023, l’Europe a publié sa première Norme ISO sur le langage clair. Ce qui veut dire qu’il y a désormais une même référence dans toute l’Europe pour définir ce qu’est le langage clair, ses règles et comment l’appliquer à une entreprise, un groupe ou une administration, publics ou privés.
Certains pays européens sont déjà très en avance sur le sujet et ont intégré l’obligation du langage clair dans leurs textes de lois. En France, la norme ISO pourrait faire avancer les choses plus vite. Pour pouvoir suivre le mouvement, reprenons d’abord les bases : le langage clair, qu’est-ce que c’est et pourquoi c’est si important aujourd’hui ? Car ce n’est pas juste une expression qui valide le fait qu’une personne s’exprime bien…
D’où vient le langage clair ?
Après la Seconde Guerre mondiale, des employés de l’administration fédérale américaine se mettent à réclamer un « plain language » (langage simple ou clair) dans tous les textes émis par le gouvernement.
Dans un essai militant, « Le charabia gouvernemental doit disparaître », John O’Hayre affirme dès les années 60 (en fait, son livre était déjà prêt dans les années 1920 !) que les communications compliquées des rédacteurs et juristes américains avaient peut-être du sens jusqu’au début du XXe siècle, quand ils ne s’adressaient qu’à une petite poignée d’experts capables de lire… Mais l’alphabétisation a progressé ! Et maintenant que toute la population américaine a accès à l’éducation et à la lecture, il n’y a aucun sens à continuer à utiliser un langage guindé et littéraire, reflet d’une époque révolue. Il faut vivre et écrire avec son temps, argumente l’auteur, un temps qui communique (déjà) vite et beaucoup. Il propose alors de reformuler, réécrire, alléger et structurer les documents juridiques et administratifs. De penser au destinataire, d’adapter le niveau de langue à ce public-cible avec un objectif clair et simple : être compris.
Plus qu’une idée, un concept bien pratique
Quelques années plus tard (et toujours aux États-Unis), des chercheurs et des spécialistes du langage ont commencé à étudier le langage clair comme un concept spécifique. Ce qui les intéresse, à l’époque, c’est de voir que, quand on simplifie le langage et les expressions juridiques de l’administration fédérale, les citoyens américains s’intéressent beaucoup plus à ce qu’il se passe dans leur État. Quand les textes sont plus accessibles, ils les lisent, les évaluent eux-mêmes et finissent par s’impliquer dans la vie citoyenne et la justice locale.
Depuis cette époque, de nombreuses initiatives sont apparues dans les pays anglo-saxons, en faveur d’un langage clair. Souvent des initiatives privées (groupes, entreprises), mais aussi publiques. Le « plain language » s’impose de plus en plus au Canada, en Australie ou aux États-Unis, jusqu’à entrer petit à petit dans les textes de lois.
Le langage clair dans le monde : qui fait quoi aujourd’hui ?
Plusieurs pays dans le monde ont commencé à s’engager sur le terrain du langage clair. Concrètement, ce sont des gouvernements, des administrations et des organismes publics qui s’engagent à communiquer (courriers, annonces politiques, textes de loi, etc.) de façon assez simple et compréhensible pour tout le monde (toutes les personnes concernées). Quelques (rares) pays ont déjà commencé à inscrire le langage clair dans leurs lois.
Aux États-Unis, les textes et propositions s’enchaînent depuis les années 1970 (au niveau national) pour adopter plus systématiquement le langage clair. Dans les années 1980, de plus en plus d’avocats intègrent des postes-clés dans l’administration américaine et ils sont les premiers intéressés par une communication simplifiée. En effet, ils ont constaté que la Justice fonctionne mieux et plus vite quand toutes les parties se comprennent et comprennent leurs droits, devoirs et obligations. En 1994, un groupement officiel d’employés fédéraux voit le jour, le Plain Language Action and Information Network (PLAIN), qui travaille à imposer le langage clair… Jusqu’à ce qu’en 2010 et 2011, le Président Obama fasse publier deux lois qui exigent que tout l’appareil réglementaire américain soit accessible à tous et facile à comprendre.
Hors États-Unis
Le Canada est un autre pilier du langage clair dans le monde. C’est notamment à ses avocat(e)s qu’on doit la naissance, en 2008, de l’ONG Plain Language Association International (PLAIN). Elle se réunit chaque année pour promouvoir le langage clair dans le monde, proposer des actions gouvernementales, des guides de rédaction et des règles communes.
Au Canada, la « communication claire » est inscrite dans la loi depuis 2017. Tout comme en Suède (depuis 2010). Elle apparaît aussi dans des engagements nationaux en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni depuis des années.
Autre initiative remarquable dans le domaine : le système du droit québécois s’est accordé sur la nécessité de se rendre vraiment accessible à tous les justiciables du pays. Ainsi est apparu le Comité du langage clair, qui encourage et accompagne l’utilisation du langage clair dans tous les secteurs juridiques. L’objectif est alors de faire « un pas de plus vers l’amélioration de l’exercice du droit. Le langage clair s’impose de plus en plus à l’avocat qui souhaite conseiller adéquatement ses clients et mieux communiquer avec ses collègues. »
En revanche, le reste de l’Europe était un peu à la traîne, en comparaison…
Quelques initiatives ont été timidement proposées en France. Dans les années 2000, le COSLA (Comité pour la Simplification du Langage Administratif) devait aider à limiter le « jargon administratif ». On lui doit plusieurs actions comme la rédaction d’un lexique administratif qui aide les agents à repérer les mots et concepts complexes au moment de rédiger des textes.
Depuis, rien d’officiel n’était apparu… Jusqu’à l’annonce de la future norme ISO sur le langage clair. Elle pourrait enfin faire basculer les pays européens dans une toute nouvelle forme de communication !
Pourquoi le langage clair est important ?
Le langage clair évite le jargon, le vocabulaire technique qu’on utilise dans certains métiers (comme la profession de juriste, la finance ou les assurances) et que très peu de gens peuvent comprendre.
Le problème, c’est qu’on écrit beaucoup de courriers et de communications en utilisant ces vocabulaires compliqués. Et peu de personnes sont vraiment capables de comprendre :
– qui leur parle
– de quoi on leur parle
– ce qu’on attend d’elles à la fin de la lecture.
Le résultat, c’est que beaucoup de communications officielles deviennent inutiles. Les textes de loi, les obligations légales, les conditions générales d’achat sur un site de vente, les cookies de suivi sur un site… Très peu de gens les lisent, et encore moins de personnes ne les comprennent. Dommage, non ?
En utilisant un langage clair, on communique mieux. Pourquoi ? Parce qu’on se fait comprendre tout de suite, et par beaucoup plus de gens.
C’est un atout pour les administrations publiques, mais aussi pour tous ceux qui veulent vendre un produit ou un service. Plus leur message est clair, plus il a de chances d’intéresser le public.
Quelle différence entre langage clair, français simplifié et FALC ?
Ce qu’on appelle aujourd’hui « langage clair » est une traduction du « plain language » anglo-saxon. Mais en France comme dans le reste de l’Europe, il reste un concept dont chacun fait un peu ce qu’il veut.
L’idée générale du langage clair, c’est que les textes officiels doivent êtres faciles à comprendre. Il doit ainsi permettre à tout citoyen d’être informé de ses droits, mais aussi de pouvoir interagir facilement avec les autorités, les administrations, les avocats, etc.
En France, on a longtemps parlé de « français simplifié ». Comme on le retrouve notamment dans le guide Santé Publique France (en partenariat avec le Canada) : la communication accessible à tous (CAPT pour Com-Access). Ce guide décrit et encadre les bonnes pratiques de rédaction, dans tous les domaines.
Il existe également un niveau de langage spécifiquement dirigé vers les publics en situation de handicap : c’est le Facile À Lire et à Comprendre, ou FALC. Pour savoir si le document que vous lisez respecte bien les critères du FALC, il doit avoir le logo suivant.
Quelles sont les règles du langage clair ?
La nouvelle Norme ISO doit définir de nouvelles règles pour toute l’Europe.
Avant 2023, chacun piochait un peu où il le voulait parmi différentes recommandations internationales, avec des règles fluctuantes quant aux techniques de rédaction.
Certaines recommandations officielles, comme celles du « Plain Language » du gouvernement nord-américain, proposent par exemple :
– d’organiser le texte autour du lecteur
– d’utiliser l’adresse directe, comme le « vous »
– de parler à la voix active plutôt qu’à la voix passive
– de faire des phrases courtes et des paragraphes courts
– d’utiliser un vocabulaire commun, de tous les jours
– de compléter la communication par des schémas visuels qui résument rapidement les choses et facilitent la compréhension.
(liste traduite des recommandations de plainlanguage.gov)
On peut y ajouter les conseils suivants : éviter les abréviations, utiliser des puces quand c’est possible, rechercher une tournure simple et claire, utiliser des illustrations (pictogrammes) familière, une terminologie basique et compréhensible, etc.
Quelques exemples de langage clair qui simplifient la vie
Le langage clair permet à la personne qui lit un texte, un courrier ou un manuel de comprendre très rapidement.
La personne ne doit pas avoir à réfléchir et à relire plusieurs fois le texte.
C’est valable pour tous les types d’écrits. Texte de lois, notice de médicament. manuel d’utilisation de produit ménager, charte de protection des données sur le Web, etc.
Voici deux exemples pour mieux comprendre la différence entre un texte « normal » et un texte écrit en langage clair.
Exemple d’instruction dans le manuel d’un appareil électrodomestique :
« Ne pas éliminer cet appareil dans les déchets ménagers municipaux non triés ».
Traduction en langage clair :
Ne jetez pas votre appareil dans une poubelle. Amenez-le dans un point de collecte de recyclage.
Exemple d’un courrier de service public :
« Mise en demeure
Au vu des différentes relances effectuées au préalable et des frais engagés pour l’obtention du paiement de la créance de la personne XXXXX, nous vous proposons à titre amiable – et afin de vous éviter une procédure judiciaire – de vous libérer de votre dette sous huitaine entre nos mains pour XXX€. »
Si la personne n’a pas compris ce qu’on attendait d’elle dans les premiers courriers, elle risque de ne pas comprendre ce message non plus. À la place, on peut imaginer quelque chose comme :
Vous avez une dette de XXX envers la personne XXX
Cette personne vous a demandé plusieurs fois de la payer.
Si vous ne payez pas, vous risquez de devoir aller au tribunal.
Ça risque de vous coûter encore plus cher.
XXX nous a demandé de l’aider.
Vous pouvez nous payer cette dette maintenant, et nous la donnerons à XXX.
Vous aurez peut-être remarqué que certains paragraphes de cet article ont été écrits en langage clair. Repensez-y une seconde : ce sont les passages que vous avez lus le plus vite, non ?
C’est normal, ils sont plus faciles à comprendre.
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