Formation continue : cette difficulté dont on ne parle pas (assez)

Dans les établissements de formation continue dits GRETA, de nombreux apprenants arrivent avec une forme de handicap invisible : une difficulté extrême à lire et écrire. Ces personnes trouvent souvent des stratégies d’évitement pour qu’on ne l’identifie pas… Caché, non assumé, l’illettrisme est pourtant bien plus fréquent qu’on ne le pense. Aux formateurs et formatrices de trouver alors la bonne réponse pédagogique. Et quelques bons outils, comme le FALC… 

Le contexte – les 110 GRETA sont des GRoupements d’ÉTAblissements qui proposent de l’apprentissage aux jeunes et aux adultes en reconversion ou en recherche de formation continue. Ils offrent aussi des formations adaptées aux publics en situation d’illettrisme.

Sabrina Aubert est Conseillère en formation continue au sein du CAFOC d’Amiens, qui travaille avec ce réseau des GRETA. Ses équipes se forment au FALC depuis des années avec Com-Access. 

Quels sont les profils de personnes qui souffrent de lourdes difficultés de lecture et d’écriture, voire d’illettrisme ?

« Ce sont des profils très variés. Les statistiques nous indiquent que ce sont un peu plus souvent des hommes que des femmes. Quasiment 100% des personnes que nous avons en formation (en GRETA) ont été en souffrance avec leur parcours scolaire. La difficulté à lire et à écrire est un processus qui s’inscrit dès l’enfance. Il y a un manque d’accompagnement et, souvent, une situation sociogéographique difficile, qui impactent l’apprentissage de l’enfant et l’émancipation de l’adulte.

Ensuite, ce traumatisme se transmet. On voit un parent en difficulté, un adulte qui ne retourne plus en formation parce qu’il se sent incapable… Et l’échec parental renvoie l’enfant à ce qu’il ne sera peut-être pas capable de faire non plus. C’est une lourde responsabilité, une double peine à subir. Par conséquent, ces personnes ont perdu confiance en elles, elles ne savent plus qu’elles peuvent apprendre.

Il y a aussi des personnes de profil « FLE », (« français langue étrangère »), qui ne sont pas encore à l’aise avec l’écrit et l’oral. Et qui, pourtant, travaillent tous les jours, doivent remplir des papiers, signer des documents, etc.. »

Qu’est-ce qui les pousse à venir en formation, dans ce cas ?

« Dans l’immense majorité des cas, l’entrée en formation est une obligation, une injonction de la part de l’employeur ou des opérateurs qui œuvrent dans le retour à l’emploi. Et c’est presque une souffrance pour ces personnes, elles ne se sentent pas prêtes.

La mission majeure de l’équipe pédagogique, c’est de rassurer l’apprenant, agir avec beaucoup de prudence et d’empathie pour éviter la stigmatisation et transformer l’obligation en opportunité en partant de ce que la personne aime faire. L’aider à imaginer ce qu’elle peut transformer dans sa vie au quotidien si elle pouvait accéder à la lecture. Il faut créer une alliance de travail, où on ne juge pas mais où on rassure. Il faut déconstruire la honte. Ne pas savoir lire ou écrire, ce n’est pas un choix ! On peut corriger progressivement la situation, même si elle est installée depuis l’enfance. »

Ces personnes arrivent directement chez vous pour traiter l’illettrisme ?

« Non, elles ne sont pas toujours dirigées spécifiquement vers la formation spécifique pour l’illettrisme ou le FLE. Il est possible que les accompagnateurs n’identifient pas les situations d’illettrisme car rappelons que les personnes concernées développent des stratégies de contournement efficaces pour ne pas laisser deviner leur situation (puis rappelons que l’illettrisme s’observe sous plusieurs angles et à différents niveaux). Par exemple, une personne a du mal à lire un texte, à se repérer sur un plan, à lire l’heure : c’est qu’elle avait oublié ses lunettes ! Ce sont des réflexes de protection naturels, beaucoup de gens le font. C’est à notre équipe pédagogique ensuite de constater rapidement que ce n’est pas un problème de lunettes. On lui propose ensuite un accompagnement spécifique avec nous, mais il ne faut pas que ce soit vécu par la personne comme une humiliation, un bond en arrière. C’est toujours à l’apprenant de choisir, et à nous d’accompagner. »

Comment se passe la formation continue quand il y a un public hétérogène, avec des personnes en situation d’illettrisme ou de troubles « dys » lourds ?

« C’est le quotidien des formateurs ! C’est un peu faire le funambule, chercher l’équilibre entre les compétences individuelles et collectives. La personnalisation a du bon, mais elle a aussi ses limites. C’est aussi important de mutualiser les compétences. Par exemple, on instaure parfois un tutorat entre pairs : un apprenant à l’aise avec la lecture et l’écriture propose un atelier pour guider un autre apprenant. Là, il n’est plus face au formateur, il n’y a plus ce statut qui peut impressionner… On conjugue ainsi les compétences des apprenants, c’est très intéressant ! »

Et comment les outils comme le FALC aident-ils en formation ?

« Le FALC (facile à lire et à comprendre) est un outil pédagogique très attendu dès lors qu’on a des personnes en difficulté avec l’écrit parmi nos apprenants. Quand on l’utilise, on remarque que nos apprenants se saisissent tout de suite du document, ils deviennent indépendants. Nos équipes se forment, tout n’est pas encore FALC (relu par des personnes en situation de handicap) mais on avance sur la simplification ! »

Par exemple, que simplifiez-vous ?

« À l’écrit, on a simplifié par exemple le carnet de bord. C’est un document qui permet à l’apprenant d’identifier ses objectifs, de visualiser son parcours d’apprentissage et de valoriser ses compétences transversales, avec un schéma, des dates, des mots-clés. On a simplifié ce document au maximum pour permettre à l’apprenant de le remplir en autonomie, ou en co-rédaction avec l’équipe pédagogique. On a reçu des témoignages d’apprenants FLE qui nous disaient que ce support aéré et accessible leur donnait envie d’écrire des choses avec leur formateur !

On joue aussi sur la multiplicité des supports. Selon la capacité de l’apprenant à accéder à la lecture, s’il apprécie le format audio ou pas, on passera sur un enregistrement oral des consignes de travail, une version Powerpoint avec de l’animation ou de l’illustration, etc.. De cette façon, l’apprenant s’autonomise, il a accès par lui-même aux exercices, il n’a pas besoin de l’aide d’un tiers, ce qui favorise sa confiance en lui, son estime de lui. Ça l’engage dans d’autres apprentissages. »

Comment vos équipes prennent-elles cet exercice supplémentaire de simplifier les documents de travail ?

« Les collègues sont enchantés ! Ils observent immédiatement l’intérêt de leurs apprenants, et à quel point le contenu de la formation leur devient accessible. Ça demande du temps, mais ils se rendent compte que c’est faisable. Et puis, la formation au FALC impacte toutes nos façons d’écrire. Parfois, je vois les collègues se relire entre eux et se dire « ah, attention, la phrase est trop complexe, il faut couper », dans des communications qu’on ne destine même pas au FALC ! On observe de nouveaux réflexes qui engagent une accessibilité réfléchie et concertée, dans toute l’équipe. »

Com’access est un organisme de formation spécialisé dans l’apprentissage du FALC, le Facile À Lire et à Comprendre.

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