Utiliser la méthode FALC signifie qu’on va écrire ou traduire un texte compliqué dans un français très, très simple. Dépouillé. Pas de métaphores, pas de travail de style, pas de phrases à rallonge, de concepts ou de mots difficiles…
Sur le papier, le facile à lire et à comprendre semble donc incompatible avec les domaines complexes comme le droit, la science ou la littérature. Comment faire du FALC avec un texte juridique ? Comment pourrait-on appliquer la méthode FALC et ses phrases courtes à un texte de Proust ? Voici l’histoire de Kiléma. Un cas particulier qui répond justement à ce « comment faire ? ».
Les ingrédients principaux : inclusion, audace, handicap, accessibilité, littérature, formation et défis fous. La trame : cette jeune maison d’édition est venue chercher une formation sur-mesure à la méthode FALC. Pourquoi ? Pour traduire les grands classiques de la littérature à tous les publics. Personnes en situation de déficience intellectuelle, de handicap visuel, mental ou psychique, elles peuvent désormais lire Shakespeare, Molière ou Camus aussi facilement que n’importe qui…
Règles du FALC versus littérature : l’union impossible ?
La méthode FALC est une série de règles qui en appelle au bon sens. Au bon sens de la personne qui écrit, d’abord, mais aussi à celui de la personne qui le lira. (C’est d’ailleurs la seule mesure qui vaille : le texte doit être relu et compris par une personne ayant des difficultés de lecture et de compréhension.)
Parmi les règles européennes pour écrire du « facile à lire et à comprendre », on trouve des recommandations comme :
- Organiser l’information pour lui (re)donner une suite logique ;
- Utiliser des mots connus par les personnes concernées ;
- Faire des phrases courtes ;
- Ne pas utiliser de figures de styles, d’images ou de métaphores ;
- Faciliter la compréhension par des pictogrammes ;
À première vue, ces règles s’opposent totalement à une écriture littéraire. On voit mal L’Étranger organisé en suite logique, sans métaphores mais bourré de pictogrammes.
Et pourtant…
Aujourd’hui, même le Nobel de littérature peut être lu par des personnes atteintes de handicap intellectuel, visuel ou cognitif. Et surtout, compris. La preuve : L’Étranger existe maintenant en FALC.
Comment en arrive-t-on à cette union ?
C’est la toute jeune maison d’édition Kiléma qui a voulu créer ce rapprochement inédit. Et le défi qui se présente alors, c’est : comment va-t-on dépouiller la langue sans perdre l’intérêt du lecteur, l’intensité de l’histoire ni le sens ?
Première réponse :
« Il y a dépouillement et dépouillement… Camus a dépouillé les émotions, pourquoi ne pourrait-on pas dépouiller le langage ? Si on prend des libertés par rapport aux règles du FALC, tout l’enjeu est de savoir lesquelles et comment on les assumera ensuite pour rester totalement facile à lire et à comprendre. »
Florence Coll, formatrice FALC de Com’access auprès de Kiléma.
Quand la méthode FALC devient flexible – voire créative
Prendre des libertés avec le FALC, qu’est-ce que ça veut dire ?
« L’intention première du FALC, c’est que les personnes soient autonomes devant un texte. Donc, au-delà du langage et de la technique, il faut d’abord faire le travail essentiel de se mettre à leur place. Ensuite, on adapte la méthode. Et on refait ce travail d’exploration à chaque formation, avec chaque client et chaque nouveau public. »
Florence Coll, formatrice FALC
L’aventure de Kiléma avec le FALC a elle aussi commencé par ce travail, en formation. En plus des outils techniques et de la méthode pure, l’intérêt de la formation est de réfléchir ensemble à leur application. Voici un exemple concret de ce qui peut surgir dans ces moments-là :
Poser le contexte
Une première session avec les futurs traducteurs et traductrices a fait émerger le besoin de contextualiser l’œuvre littéraire avant son démarrage. Autrement dit, prendre le lecteur par la main pour l’aider à entrer doucement dans l’ambiance et dans l’histoire.
Précision de la formatrice : « On ne parle pas forcément de courant littéraire ou de contexte politique. En revanche, en introduisant l’Étranger, on peut se permettre de préciser par exemple que, dans ce livre, le personnage répète souvent « l’Arabe » sans donner de prénom. On explique qu’on ne peut pas du tout faire ça aujourd’hui, on expose un peu l’univers dans lequel vit le personnage à l’époque, etc. ».
Garder la magie de l’écriture… mais en FALC
L’œuvre introduite, reste à se poser la question pure du langage. Comment fusionner langage FALC et langage littéraire ? Que fait-on de la langue qui a vieilli avec ses mots ou ses concepts qui n’ont plus d’équivalent aujourd’hui ? (À ce propos, lisez ici les anecdotes de Maëlle Coudert, traductrice pour Kiléma).
« On devait soulever ces questions, sans forcément imposer de règle absolue, détaille Florence Coll. Dans ce cas-là, on questionne directement l’entreprise qui vient se former : puisqu’il faut éviter les mots polysémiques, les métaphores et autres figures… que souhaitez-vous faire ? Ensemble, la réflexion a mené à : si je veux garder des métaphores dans mon texte, comment faire pour que la personne comprenne que c’en est une ? Est-ce que je peux me permettre de démonter la métaphore quelque part dans la page en expliquant ce que c’est et ce qu’elle veut dire ? ».
Dans le challenge réside la créativité ! Plus que la règle, ce qui prévaut c’est la compréhension finale par la personne qui lit le texte. S’il faut bousculer une règle du FALC, il ne reste donc plus qu’à inventer un nouveau moyen de s’adresser au lecteur pour ne pas le perdre.
Dans l’exemple de Kiléma, on a donc pu inventer des astuces techniques, comme mettre des mots et expressions en gras, un lexique épais, des explications directes dans le texte…
Pourquoi rendre la littérature FALC ?
Remettre une œuvre dans son contexte, présenter les personnages, simplifier le récit… Entre les éditions jeunesse et les « profils » de grands classiques, on pourrait penser que la démarche n’a rien de neuf.
Sauf que… « Même simplifiés, ces classiques ne sont pas lisibles si on a un handicap de lecture, précise Florence Coll. La police, les couleurs, le langage ne sont pas vraiment accessibles. Et c’est normal, car ce n’est pas leur but initial. »
Une fois traduite en FALC, tous les publics peuvent s’approprier une œuvre en toute autonomie, y compris avec une déficience intellectuelle, un handicap visuel (hors personnes malvoyantes et aveugles), dyslexie, troubles psychiques, etc.
« Un livre doit vous emmener quelque part. C’est impossible si vous ne comprenez pas un mot sur dix. Vous finissez par fatiguer et vous arrêtez de suivre. Fin du voyage, début des inégalités. Il faut redonner aux enfants comme aux adultes la confiance en leur capacité de lecture, quitte à ce que ce premier pas soit un levier vers des livres traditionnels ensuite. »
Maëlle Coudert, traductrice chez Kiléma
Lisez ici le récit original de l’adaptation d’un grand classique en FALC par une traductrice.